de LFB, MotorsTv
J’ai l’honneur de bien connaître Sébastien Bourdais et de me considérer comme son ami, au point de lui avoir consacré un livre. Un ouvrage qu’en compagnie d’Henri Suzeau nous avions estimé nécessaire au moment où il écrivait une vraie page d’histoire du sport automobile aux Etats-Unis et où il n’y avait plus de pilote français en F1… L’injustice a donc été réparée en 2008 et il est temps maintenant de revenir sur cette saison, avec franchise et honnêteté…
Lorsque nous l’interrogions en début d’année, avant le démarrage de la saison à Melbourne, Seb résumait ainsi ses objectifs raisonnables : “essayer d’aller en Q3 si c’est possible et marquer quelques points”… Il n’était pas question de beaucoup plus, car tout le monde sait bien que Toro Rosso s’appelait encore Minardi il y a quelques temps. D’ailleurs, on rappellera que beaucoup d’observateurs critiquaient Bourdais pour sa signature dans cette équipe, annonçant déjà “qu’il allait se griller en queue de peloton avec une voiture de fond de grille alors qu’il aurait pu continuer à gagner aux Etats-Unis etc…”. On ne pourra pas reprocher à Sébastien d’y être allé quand même et d’avoir contribué à la progression (spectaculaire) de son équipe !
On pourra aussi noter au passage que partout où il est allé dans sa carrière, l’équipe qui l’accueillait en a généralement profité : en F3, il était le seul sur châssis Martini - titre ! En F3000, en 2001, DAMS ne faisait plus rien depuis un bon bout de temps et se remet à gagner avec lui. En Champ Car, Newman-Haas dominait déjà mais à continué à le faire. En F1, Toro Rosso triomphe ! Un hasard ? Peut-être. Peut-être pas.
Aux objectifs énoncés par Seb, j’avais secrètement rajouté deux “conditions” pour que l’année soit positive : 1. ne pas se faire “allumer” constamment par Vettel et 2. signer dès que possible et le plus souvent possible un coup d’éclat. Pour se faire remarquer, pour se montrer, pour enfoncer le clou et sécuriser sa place parmi les 20 pilotes majeurs qui composent une grille de F1.
Les prévisions de Seb et mes conditions ont-elles été réunies ? La réponse est oui, sans aucun doute possible ! Oui, Seb s’est qualifié en Q3 (7 fois sur 18 si nos comptes sont bons, soit quand même presque 40% des courses), oui il a marqué des points (à deux reprises, et cela aurait dû faire au moins trois avec le Japon où il a été durement et injustement sanctionné), oui il a réalisé des coups d’éclat (Australie, Spa, Fuji) et non il ne s’est pas fait archi-dominer par Vettel en qualifs et en vitesse pure. Sur le papier, les ambitions ont été atteintes.
Elles ne l’ont pas été totalement sur l’esprit. Je passe sur les quelques courses où les faits jouent contre vous : cela arrive à tous les pilotes, surtout les rookies. Il était évident que sur 18 manches, Seb allait abandonner une fois dès le premier tour (Malaisie) ou se faire percuter dès le départ ce qui allait tout ruiner (Chine)… C’était obligé et même Vettel, souvenons-nous, a connu un début de saison catastrophique avec trois GP sur les quatre premiers finis avant même la fin du premier tour. Mais au-delà de ce “résidu quasi obligatoire”, il restait pas mal de courses pour faire le job. Et là, Seb a tout connu, souvent le pire, rarement le meilleur.
Car c’est là le noeud du problème : finalement, la Toro Rosso était une excellente voiture, capable à partir de la moitié de saison d’être régulièrement en Q3. Les deux Seb l’ont fait, bravo. Du coup, il y avait de quoi confirmer et capitaliser en course. Or, seul Vettel l’a fait, au point d’aller gagner à Monza et de marquer en tout 35 points, là où Seb, au final, n’en marquait que 4… Là forcément, ça fait mal et au vu de ce qu’était la réalité de la voiture, on est en droit de dire que la saison de Bourdais a été décevante, pour ne pas dire ratée.
Tout avait bien commencé à Melbourne, avec une course d’anthologie qui aurait dû déboucher sur une 4e place - dès le 1er GP, vous vous rendez compte ! Signe du destin peut-être, Seb n’a pas passé la ligne ce jour-là, même s’il a accroché les deux points de la 7e place. Sur le moment, on s’en est contenté, évidemment. Mais je ne peux m’empêcher de penser que toute la face de cette saison aurait été changée si Seb avait bien passé la ligne en 4e position, pour son tout premier GP…
Ensuite, il est revenu dans le rang, en quelque sorte, avec ce que je qualifierais de “période d’adaptation”. La nouvelle voiture est apparue à Monaco, mais Seb l’avait crashée en essais privés à Barcelone peu avant. Je me suis toujours demandé jusqu’à quel point cet événement avait été important pour le Français. Un ressort s’est-il cassé ce jour-là ? Son équipe lui en a-t-elle voulu ? Son enthousiasme a-t-il été douché ? Je me le demande.
Toujours est-il qu’à Monaco, Sebastien a constamment dominé Vettel et qu’il était excellemment placé dès le départ. Il était par exemple devant Sutil et Vettel, qui, on le sait, se sont distingués ce jour-là. Or, Seb est sorti prématurément, en tapant la voiture de Coulthard en perdition devant lui. Pour moi, c’est ce GP qui aura été le plus dommageable de l’année : là, il avait les moyens de faire quelque chose et de briller, là, il aurait pu signer une superbe place d’honneur, là, il pouvait montrer à Vettel qu’il fallait compter avec lui. Mais la spirale s’est inversée.
La saison a continué avec une période qu’on pourrait qualifier de mauvaise : du Canada à la Hongrie. Seb n’était pas à l’aise dans sa voiture, il n’était pas dans le rythme, il naviguait loin dans le peloton. Le comble a été atteint en France côté rythme et en Hongrie côté malchance avec ces arrêts aux stands foireux avec l’extincteur… Terrible été !
A partir de Valence, la performance de la voiture a soudain été notable et les bonnes qualifs ont commencé. N’oublions donc pas les présences en Q3 et le meilleur temps en Q1 à Spa ! Quand même ! L’ennui, c’est que dans le même temps, Seb est devenu “chat noir” en course avec, comme point d’orgue, la course de Monza : il cale sur la grille alors que Vettel gagne ! Difficile de faire plus cruel.
Pour résumer : on aurait dit à Seb au mois de janvier dernier qu’il allait se qualifier 7 fois en Q3 et marquer 4 points, il aurait signé tout de suite et nous avec. Mais si on avait dû rajouter que, dans les sept derniers GP seulement, Vettel allait marquer 29 points et remporter la course de Monza, on aurait évidemment fait “gloups” - c’est pourtant ce qui s’est passé.
Je crois franchement que personne n’aurait fait mieux que Vettel cette année au volant d’une Toro Rosso : pas même Hamilton ou Kubica, pas même Alonso ou Massa. Ce qu’a fait l’Allemand est prodigieux, unique, pratiquement inédit dans l’histoire de la F1. Oui, il nous a bluffé et il mérite un grand coup de chapeau. Est-il le futur maître de la F1 ? Son dépassement à Interlagos sur Hamilton en fin de course est peut-être un signe. Ce repère est donc écrasant, il fausse aussi la comparaison.
Sébastien a souffert, mais qui n’aurait pas souffert ? A mon avis, beaucoup savent quand même que ce qu’a fait notre ami face à l’Allemand n’est pas si mal, et même plutôt très bien. Face à un tel phénomène, on ne peut être que perdant. Sébastien a perdu, certes. Mais mérite-t-il pour autant de perdre sa place en F1 ? Nous ne le pensons pas, pour au moins trois raisons : 1. s’il s’en va, alors, désolé, mais il faudra m’expliquer ce que les Button, Barrichello, Webber, Fisichella, Sutil, Piquet font en F1. Attention : je ne dis pas qu’ils sont mauvais. Je dis qu’ils ne sont pas meilleurs que Bourdais. 2. il demeure impensable qu’il n’y ait pas de pilotes français en F1 et 3. Seb a connu toutes les désillusions possibles en 2008, il est pratiquement et statistiquement impossible que cela recommence en 2009 !
Voilà, on ne cache pas les déceptions, on ne se voile pas la face, mais on ne veut pas dramatiser non plus. Seb a tout pour évoluer favorablement dans son équipe et dans la hiérarchie. Nous voulons le soutenir pour cela car nous savons qu’il a théoriquement toutes les qualités pour. Il faut juste bien assembler toutes les pièces du puzzle, y croire toujours, se défoncer et ne pas gamberger, et ça devrait aller mieux.